Le culte eucharistique, une des sources de la rationalité occidentale (exégèse biblique du signe 1ère partie)

Ce texte un peu technique fait suite au deux premiers articles que j’invite le lecteur de ce blog à lire avant celui-ci :

La méthode exégétique employée

Avant de continuer d’explorer le mot hébreu « oth, signe », il nous faut préciser la méthode exégétique employée.

Un des plus importants outils d’exploration d’un corpus littéraire, sorte de sonde d’analyse du texte, signal que dans le texte se dit quelque chose d’extraordinaire, est la notion d’hapax, c’est-à-dire un mot n’apparaissant qu’une seule fois dans tout un corpus littéraire.

Mais pourquoi un tel mot, particulièrement dans le cadre de l’exégèse biblique, serait-il plus important qu’un autre ?

D’abord par le simple fait qu’il est unique et que cette unicité dans un ensemble littéraire aussi important et vaste que la Bible est en soi remarquable. On cherche souvent dans les analyses structurales des formes qui se reproduisent et révèlent la structure sous-jacente du texte. En un sens, l’analyse hapaxique est l’opposé de l’approche structurale. L’hapax est du côté du particulier, de l’unique et du personnel tandis que la structure est du côté de l’universel, du commun et du « on ». Les deux approches sont nécessaires.

Or quoi de plus unique que Dieu qui s’exprime (telle est notre foi) dans les auteurs inspirés transcrivant dans des mots, sous la motion de l’Esprit Saint, les lettres sacrées ? Comme le Christ surgit une seule fois pour toute dans l’histoire de l’humanité, s’offrant une fois pour toute sur le bois de la croix, l’hapax surgit une fois pour toute dans l’histoire du texte. Il est ainsi plus à même de signifier l’unicité divine, l’hapax existentiel du Christ et son « ephapax » (une fois pour toute) sacrificiel.

Vladimir Jankélévitch a justement développé la notion d’hapax existentiel pour décrire l’événement qui peut, dans la vie d’un homme, changer toute sa vie et sa vision du monde :

 « Toute vraie occasion est un hapax, c’est-à-dire qu’elle ne comporte ni précédent, ni réédition, ni avant-goût ni arrière-goût ; elle ne s’annonce pas par des signes précurseurs et ne connaît pas de « seconde fois »»[i]

C’est ainsi qu’il parlera aussi de l’hapax que représente la perte de l’enfant pour la mère : « Mais l’enfant qu’elle a perdu, qui le lui rendra ? Or c’est celui-là justement qu’elle aimait… Hélas, aucune force ici-bas ne peut faire revivre ce précieux, cet incomparable hapax littéralement unique dans toute l’histoire du monde[ii].

Peu d’homme échappe à cet hapax existentiel qui les transforme ou les blesse à jamais, peu d’hommes à vrai dire en font une source, mais toute grande vie, toute grande œuvre émane d’un hapax existentiel. Songeons à Saint Paul tombant de son cheval sur la route de Damas, la conversion de Saint Augustin, donnée explicitement par Onfray comme exemple d’hapax existentiel. Ces événement uniques et transformant de la vie d’un homme, si on peut les qualifier d’hapax doivent être a fortiori décrits littérairement grâce à des hapax. Il y a une relation bijective entre hapax littéraire et hapax existentiel. L’hapax littéraire révèle l’hapax existentiel et l’hapax existentiel se dit dans l’hapax littéraire.

C’est donc bien le travail littéraire sur la langue qui permet de révéler la nature exacte et profonde de certains événements fondateurs. C’est ce travail qu’ont réalisé les auteurs sacrés et parfois des hapax, des néologismes, leur servent à exprimer ces choses uniques. Un des livres de la Bible qui contient le plus d’hapax est le Cantique des Cantiques ce qui démontre bien que le texte ne peut pas être interprété uniquement à partir de son sens premier concernant l’amour humain dans son aspect charnel et érotique.

Après avoir démontré l’importance des hapax pour l’analyse exégétique d’une œuvre, il nous faut maintenant élargir sa notion en utilisant l’oxymore apparent d’hapax de répétition ou répétition hapaxique dans le sens où c’est la répétition elle-même du mot qui est unique et forme donc ce que nous appelons un quasi-hapax :

  • Quasi hapax sémantique : le mot répété est toujours relié au même champ sémantique, cette relation sémantique, même si elle se répète est unique dans l’œuvre, le chapitre ou le passage étudiés.

Ainsi dans le livre de la Genèse, le mot oth, signe est répété à cinq reprises. Il n’est donc pas un hapax du livre de la Genèse mais le mot apparaît uniquement lors des événements d’alliance. Cette relation sémantique est ici unique et donc extrêmement signifiante. C’est ce que nous nommons une répétition hapaxique sémantique.

  • Quasi hapax local : la répétition intensive du mot se trouve à un endroit spécifique de l’œuvre. Elle indique donc à cet endroit une répétition unique et significative.

Ainsi dans le livre de l’Exode, le mot « oth » est répété dans le cadre de la narration de la sortie d’Egypte. Cette répétition est la source d’une théologie des signes que nous essayerons de développer.

Une approche théologique permet d’éclairer cette notion linguistique, apparemment contradictoire, de répétition hapaxique. La Croix est l’hapax existentiel fondateur du christianisme auquel chaque chrétien est appelé à se relier spirituellement. Cet événement comme l’enseigne St Paul se fait une fois pour toutes. Dans la lettre aux Hébreux, le mot hapax est utilisé 8 fois et 3 fois le mot ephapax qui est comme son superlatif[iii]. Le mot ephapax est systématiquement relié au sacrifice du Christ, celui-ci unique et réalisé une fois pour toutes :

  • Il n’a pas besoin comme les autres grands prêtres d’offrir chaque jour des sacrifices d’abord pour ses propres péchés puis pour ceux du peuple. Cela, il l’a fait une fois pour toutes (ephapax) en s’offrant lui-même. He 7,27
  • Par le sang, non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, il est entré une fois pour toutes (ephapax) dans le sanctuaire et qu’il a obtenu une libération définitive. He 9,12
  • Il dit alors : Voici, je suis venu pour faire ta volonté. Il supprime le premier culte pour établir le second. C’est dans cette volonté que nous avons été sanctifiés par l’offrande du corps de Jésus Christ, faite une fois pour toutes (ephapax). He 10,10

Mais à l’ephapax existentiel absolu et radical du Sacrifice de la Croix répond la répétition du Sacrifice Eucharistique au cours des siècles. L’apparente contradiction entre l’ephapax de la Croix et la répétition eucharistique se réduit dans l’identité absolue entre ces deux sacrifices. La répétition eucharistique permet ainsi de signifier le caractère absolument singulier de l’événement de la Croix.

Notons malicieusement que l’ephapax de la lettre aux Hébreux est justement une répétition hapaxique sémantique. Dans cette œuvre la répétition du mot ephapax en relation unique et systématique avec le sacrifice du Christ forme un quasi-hapax qui est là pour révéler une théologie du sacrifice de la Croix. L’ephapax est un quasi-hapax.

Nous émettons l’hypothèse que les hapax et les quasi-hapax (sémantiques ou locaux) sont des marqueurs théologiques. Ces mots, par leur singularité et la singularité de leur répétition, engendrent une théologie. Nous faisons l’hypothèse qu’il y a de nombreux « marqueurs théologiques » de ce type dans le texte biblique et nous encourageons la recherche exégétique à aller dans ce sens. En outre, cette méthode est comme une jonction entre la méthode structurale (la répétition est une structure fondamentale) qui révèle un élément universel et la recherche des hapax dans le texte qui révèle un élément singulier.

L’hapax, la répétition hapaxique sémantique, la répétition hapaxique locale sont des marqueurs théologiques qui signalent un contenu extrêmement important du texte et participent eux-mêmes à en dévoiler le sens.

(Un autre exemple de quasi hapax sémantique est l’expression biblique « dans l’os de ce jour », qui, elle aussi, est systématiquement associée à un événement d’alliance[iv].)

Les signes du livre de la Genèse : une répétion hapaxique sémantique

Dans le livre de la Genèse le mot « oth » (אות) n’est utilisé que dans le cadre d’événements d’alliance :

Première occurrence : l’alliance cosmique et naturelle

La première occurrence du mot « oth », signe, dans le corpus biblique canonique se trouve dans le récit de la Création en Gn 1, 14 lors de la création du soleil et de la lune au quatrième jour. Le mot est au pluriel :

Dieu dit : qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit ; qu’ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années »

Le soleil et la lune sont donc considérés comme des signes. Les premiers signes que Dieu nous donne sont cosmiques et universelles. Chaque homme sur la terre peut voir le soleil et la lune. Les cycles cosmiques de ces astres nous marquent intimement. Ce sont des signes universelles et intimes à la fois. Toutes les religions ont part à cette alliance primordiale entre l’homme et le cosmos. Il s’agit d’une alliance cosmique. On peut penser à la religion cosmique d’Einstein, lui qui nous fit comprendre en profondeur comment fonctionnent le soleil et la lune. Tout homme est ébloui par le spectacle de la voute céleste, du soleil, de la lune. Cet étonnement primordial nous fait signe, ce cosmos, cette beauté cosmique…nous renvoie à quelque chose de plus grand et de plus profond. Et permettent déjà de séparer les ténèbres de la lumière. Le signe d’alliance distingue entre la nuit et le jour.

Deuxième occurence : l’alliance de protection avec l’homme pécheur

La deuxième occurrence se trouve en Gn 4,15 dans le récit de Caïn et Abel :

Yahvé lui répondit : « Aussi bien, si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois » et Yahvé mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point.

Caïn après le meurtre d’Abel est donc marqué d’un signe mystérieux qui bien loin d’être une malédiction est une protection divine. Caïn est chassé du sol fertile comme Adam fut chassé du jardin d’Eden mais Dieu lui accorde une protection qui est un signe. Celui qui verra le signe ne cherchera pas à prendre sa vie. Il s’agit bien d’une signe d’alliance, là aussi primordiale, entre Dieu t l’homme pécheur et même criminel. Lointaine prémonition du signe marquant le linteau des portes des Hébreux en Egypte afin que le fléau de Dieu les épargne.

Mais « l’alliance caïnique » est également universelle car Caïn est au commencement de l’humanité, en tout cas des peuples nomades (Gn 4, 14 « je serai un errant parcourant la terre »  « il fut l’ancêtre de ceux qui vivent sous la tente et ont des troupeaux. » Gn 4,20), des musiciens (« Il fut l’ancêtre de ceux qui jouent de la lyre et du chalumeau » Gn 4,21 et l’ancêtre de forgerons Gn 4,22. Il est l’ancêtre de ceux qui transforment le monde, par leur travail, leur art et leur technique. Caïn est à l’origine du monde artificiel de l’homme et le signe divin qui le protège lui permet de développer ce monde artificiel, (de signes) ?

Troisième occurrence : l’alliance noachique

La troisième occurrence est triple, Gn 12,12.13.17, elle forme ce que nous avons appelé une répétition hapaxique locale. Cette triple répétition du mot signe est donc particulièrement signifiante au sein de la répétition hapaxique sémantique que nous étudions. On pourrait oser dire qu’elle est trois fois plus importante que les deux premières occurrences :

Et Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que j’institue entre moi et vous et tous les êtres vivants qui sont avec vous pour les générations à venir ; je mets mon arc dans la nuée et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre (…)

Dieu dit à Noé : « Tel est le signe de l’alliance que j’établis entre moi et toi et toute chair qui est sur la terre. »

Le signe est ici explicitement référé à une alliance et à la mémoire de cette alliance (Gn 12,15-16). Cette alliance engage Dieu à protéger Noé et ses descendants mais également toute chair vivante. On peut parler d’une alliance universelle avec le vivant. Après le signe personnel de protection (mais aussi d’opprobre) accordé à Caïn, c’est toute sa descendance qui par le signe de l’arc dans la nuée reçoit l’assurance divine de protection.

Quatrième occurrence : l’alliance avec Israël

La quatrième occurrence est liée à un rite fondateur du peuple d’Israël : la circoncision.

Gn 17, 11 : Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre vous et moi.

Du signe universel cosmique (le soleil et la lune) en passant par les signes de protection de l’humanité criminelle et pécheresse (Caïn puis l’alliance noachique), on arrive à l’alliance particulière avec le peuple d’Israël. Il y a clairement un mouvement de l’universel vers le personnel, une alternance de signe d’alliances universelles et particulières. Le signe d’alliance universelle s’incarne dans un signe d’alliance particulier. Les signes cosmiques des grands luminaires puis le signe sur le front de Caïn ; l’arc en ciel qui protège l’universalité du vivant puis l’alliance très intime (dans la chair du sexe masculin) avec Abraham dans le signe de la circoncision.

L’occurrence suivante renvoie à nouveau vers un alliance qui s’ouvre à l’universel, respectant ainsi ce rythme binaire universel/particulier

Cinquième occurrence : l’alliance d’Israël avec les autres peuples

 Le mot « oth » se retrouve ici sous une forme verbale à trois reprises au chapitre 34 de la Genèse. La traduction est nous consentons, ou nous acceptons. On pourrait aussi traduire de manière plus littérale, nous signifions notre accord. Des peuples étrangers à Israël vont s’unir aux filles d’Israël en acceptant d’entrer dans l’alliance de la circoncision.

Gn 34,15 : Nous acceptons qu’à cette condition : c’est que vous deveniez comme nous et fassiez circoncire tous vos mâles.

Gn 34,22 : Mais ces gens n’accepteront de demeurer avec nous pour former un seul peuple qu’à cette condition : c’est que tous nos mâles soient circoncis comme ils le sont eux-mêmes.

Gn 34,23 : Leurs troupeaux, leurs biens, tout leur bétail ne seront-ils pas à nous ? Acceptons pour qu’ils demeurent avec nous.

Conclusion : oth dans le livre de la Genèse

Avant d’étudier « oth » dans le livre de l’Exode où sa répétition hapaxique est encore plus fondamentale, essayons de tirer la théologie que ces 5 occurrences du livre de la Genèse nous enseignent. D’abord le cosmos, les grands luminaire que sont la lune et le soleil sont vus non comme des divinités mais comme des signes rationnels du temps.

Caïn premier meurtrier de l’histoire appelle paradoxalement une protection particulière du Seigneur qui s’exprime par un signe. Dieu n’enferme pas Caïn dans le chaos des conséquences de son meurtre mais lui donne l’occasion de s’exprimer grâce à ce signe. Caïn est le père des arts (musique, travail de l’acier) mais aussi de ceux qui parcourent le monde, qui le transforment. Ces transformations culturelles et civilisationnelles se font grâce au signe mystérieux donné par Dieu à Caïn.

Le troisième signe nous donne la certitude que ce monde ne sera plus détruit et que la vie y est protégée. Pour la première fois, le mot « oth » est relié spécifiquement à la notion d’alliance : le signe de l’alliance. C’est l’alliance fondamentale entre Dieu et les différentes formes de vie qu’il a créées. Celle-ci ne seront plus soumis au chaos destructeur du déluge. Cette certitude indispensable aux hommes que le monde n’est pas soumis aux lois du chaos mais à la protection bienveillante de Dieu et à une régularité cosmique est donnée à travers un signe.

Enfin, le signe d’alliance de la circoncision exprime l’intimité de l’alliance entre Dieu et Israël. Mais cette alliance n’est pas fermée et ce signe d’alliance, si intime, pourra être signe de l’alliance d’Israël avec d’autres peuples qui sont appelés à entrer dans cette alliance première. Ce signe d’alliance sera donc aussi un signe politique.

Les signes d’allinace donnés par Dieu engendrent donc la stabilité, la certitude que le chaos ne préside pas à ce monde et que la paix peut être faite entre peuples différents à travers l’expression d’un signe commun. Le rapport entre signe et rationalité paraît donc déjà émergé dans l’antique texte de la Genèse.


Annexe : Dans l’os de ce jour, expression quasi hapaxique de l’Alliance

Le chapitre 12 de l’Exode contient une expression très mystérieuse qui apparaît à trois reprises et qui peut être traduite littéralement par ‘’dans l’os de ce jour’’, c’est-à-dire dans la substance de ce jour (voir note de la bible Osty) :

  • Ex 12, 17 : « Vous observerez la fête des Azymes, car c’est dans l’os de ce jour que j’ai fait sortir vos armées du pays d’Egypte. »   
  • Ex 12, 41 : « Dans l’os de ce jour où prenaient fin les 430 ans, toutes les armées de Yahvé sortirent du pays d’Egypte »
  • Ex 12, 51 : « Dans l’os de ce jour, Yahvé fit sortir les Israélites du pays d’Egypte selon leurs armées. »

Cette expression est systématiquement liée à cette autre : ‘’faire sortir du pays d’Egypte’’, comme si toute la substance de ce jour était concentrée dans cet événement majeur de l’histoire du peuple élu. Ex 12 est donc structurée par quatre termes essentiels :  le sacrifice (de la Pâque et des premiers-nés) qui est signe de salut et mémorial (avec la semaine des Azymes ) de la dimension d’éternité contenue dans l’événement lui-même, dans l’os de ce jour.

              Cette expression se retrouve dans d’autres passages capitaux du Pentateuque qui ont tous rapport à l’alliance entre Dieu et les hommes, alliance toujours concrétisée dans un signe :

  • ¬ Noé entre dans l’arche : « En l’an six cent de la vie de Noé, le deuxième mois, le dix-septième jour du mois, dans l’os de ce jour, jaillirent toutes les sources du grand abîme et les écluses du ciel s’ouvrirent. » (Gn 7, 11) « Dans l’os de ce jour Noé et ses fils, Sem, Cham, et Japhet, avec les femmes de Noé entrèrent dans l’arche. » (Gn 7, 13).                                    Dieu donne ensuite un signe de l’alliance qu’il établit entre lui, Noé et tous les êtres vivants : « Voici le signe que j’institue entre moi et vous et tous les êtres vivants (…) : je mets mon arc dans la nuée et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre. Lorsque j’assemblerai les nuées sur la terre et que l’arc apparaîtra dans la nuée, je me souviendrai de l’alliance. (On peut presque dire que Dieu se donne un signe mémorial) » (Gn 9, 12-15)
  • ­ L’alliance avec Abraham et la circoncision : « voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, c’est-à-dire ta race après toi : que tous vos mâles soient circoncis. Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. » (Gn 17, 10-11)               « Alors Abraham prit son fils Ismaël, tous ceux qui étaient nés dans sa maison (…) et il circoncit la chair de leur prépuce, dans l’os de ce jour, comme Dieu le lui avait dit. Abraham était âgé de 99 ans lorsqu’on circoncit la chair de son prépuce et Ismaël, son fils, était âgé de 13 ans lorsqu’on circoncit la chair de son prépuce. Dans l’os de ce jour furent circoncis Abraham et son fils Ismaël » (Gn 17, 23-26)                                                                Il faut noter également qu’on trouve dans ce chapitre 17 de la Genèse un vocabulaire voisin de l’institution du mémorial (EX 12, 14.17b) : ‘’une alliance perpétuelle’’ (vv. 7, 13 et 19) ; ‘’de génération en génération’’ (vv.7, 12)

Outre le lien sémantique assuré par la mystérieuse expression ‘’dans l’os de ce jour’’, il existe un autre lien, beaucoup plus profond entre Gn 17 et Ex 12 : le signe du sang. En effet, la tradition juive associe le sang de la circoncision au sang de l’agneau pascal. La valeur salutaire du sang de la circoncision est suggérée en Ex. 4, 24-26 où Moïse est sauvé de la main de Yahvé par le sang de la circoncision de son fils : «l’interprétation ancienne d’Ex 4 montre que la valeur du rite de la circoncision venait de son caractère expiatoire, non de l’accomplissement d’un précepte de la Loi comme le soutiendront les docteurs juifs à partir du IIe siècle après J.C.. Ce caractère expiatoire est encore accentué par l’association fréquente dans l’aggadah du sang de la Pâque et du sang de la circoncision : ‘’vous mélangerez le sang du sacrifice de la Pâque et de la circoncision pour en faire un signe sur les demeures où vous résidez ; je verrai le mérite du sang et je vous épargnerai. » [v] R. Le Déaut cite encore l’interprétation d’un rabbin : « R. Lévi (vers 300) dit : ‘’Cette nuit-là le sang de la Pâque se mélangea au sang de la circoncision, comme il est écrit : …(Ez 16, 6)’’ »[vi] (notons l’expression cette nuit-là)et le Targum d’Ez 16, 6 : « Alors le souvenir de l’alliance avec vos pères se présenta à moi et je suis apparu pour vous délivrer ; et je vous ai dit : par le sang de la circoncision j’aurai pitié de vous, par le sang de la Pâque, je vous rachèterai… »[vii]

  • ® Un autre signe d’alliance consiste en un jour réservé à Yahvé : le sabbat. Si en Ex 31, 12-17, l’expression ‘’dans l’os de ce jour’’ n’apparaît pas , tout le texte est cependant centré sur le jour très particulier du sabbat rattaché au septième jour de la Création : « vous garderez mes sabbats, car c’est un signe entre moi et vous pour vos générations, afin qu’on sache que je suis Yahvé, celui qui vous sanctifie. » (Gn 31, 13) Ici, le signe est donc le jour lui-même.

Pour être complet, il faut encore signaler que l’expression ‘’dans l’os de ce jour’’ est employée dans le cadre de l’entrée d’Israël en terre promise :

  • en Lv 23, 14 dans le récit de l’offrande de la première gerbe : « Quand vous serez entrés dans le pays que je vous donne et que vous en ferez la moisson, vous apporterez au prêtre une gerbe prémices de votre moisson. (…) Vous ne mangerez ni pain, ni grain rôti, ni grain frais, jusqu’à ce jour-là même (dans l’os de ce jour), jusqu’à ce que vous ayez apporté l’offrande de votre Dieu : c’est une institution perpétuelle pour toutes vos générations, dans tous les lieux où vous habiterez »[viii] L’expression renvoie donc au jour de l’entrée d’Israël en Terre Promise. Mais la chose la plus importante à remarquer est la position de ce rituel dans le chapitre 23 du Lévitique. Il est placé en effet juste après une nouvelle description de la Pâque et des Azymes. L’offrande de la première gerbe doit être faite le lendemain du sabbat[ix]. « Ce sabbat fut diversement interprété : soit celui après la Pâque, durant la semaine des Azymes, soit le jour même de la Pâque, considéré comme sabbat par excellence. »[x] Quoi qu’il en soit de la nature exacte de  ce sabbat, Il y a à nouveau ici un très lien étroit entre l’expression ‘’dans l’os de ce jour’’ et le jour de la Pâque.
  • L’événement de l’entrée en Terre Promise est décrit dans le livre de Josué où la même expression est à nouveau utilisée: «Le lendemain de la Pâque, ils mangèrent des produits du pays, azymes et grains rôtis, ce jour-là même, (dans l’os de ce jour). La manne cessa le lendemain, quand ils mangèrent des produits du pays ; et il n’y eut pas de manne pour les fils d’Israël. (Jos 5, 11-12)                                                                                                               Ce jour est à nouveau associé à un signe-mémorial : « Chargez chacun une pierre sur votre épaule, suivant le nombre des tribus des fils d’Israël afin que ce soit un signe au milieu de vous. Lorsque vos fils demanderont demain : Que sont pour vous ces pierres ? Vous leur direz : c’est que les eaux du Jourdain ont été coupées devant l’arche de l’alliance de Yahvé quand elle passa le Jourdain ; les eaux ont été coupées, et ces pierres serviront de mémorial pour toujours. »(Jos 4, 6-7)                                                      « Et Josué érigea douze pierres au milieu du Jourdain, à l’endroit même où avaient stationné les pieds des prêtres qui portaient l’arche d’alliance : elles y sont jusqu’à ce jour. » (Jos 4, 9)    

L’expression est utilisée une dernière fois au chapitre 10 du livre de Josué dans le contexte de la guerre contre les cinq rois : « Josué les frappa et les mit à mort ; puis il les pendit à cinq arbres, et ils restèrent pendus aux arbres jusqu’au soir. Et au temps du coucher du soleil, Josué commanda de les descendre des arbres : on les jeta dans la grotte où ils s’étaient mis à l’abri et l’on plaça de grandes pierres contre l’entrée de la grotte : (elles y sont restées) jusqu’à l’os de ce jour’’ (Jos 10, 27-28) Un de ces rois est ‘’Adoni-Sédeq, roi de Jérusalem’’ (10, 1) (première mention de Jérusalem dans la Bible) Osty note que Adoni-Sédeq s’interprète par ‘’le dieu Sédeq est Seigneur’’ ou ‘’mon Seigneur est justice ou encore par ‘’Seigneur de la justice. Le nom est très proche de celui de Melchisédech, roi de Salem (Gn 14, 18). On ne peut être que frappé par les résonances que ce texte suggère avec le récit de l’ensevelissement de Jésus. Dès lors, l’os de ce jour n’est-il pas le jour de la Résurrection, sabbat par excellence? Nous ne pouvons pas aller plus loin mais ce point devait être signalé.


[i] Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, Paris, PUF, 1957, 216 p. (p. 117)

[ii] Vladimir Jankélévitch, La Mort, Paris, Flammarion, 426 p. (1977 pour la 3e éd. et 1ère éd. en 1966).

[iii] Ephapax : une fois pour toutes · L’homélie du dimanche (prochain) (unblog.fr)

[iv] Voir l’annexe

[v] R. Le Deaut, La Nuit pascale, Analecta Biblica N° 22, Rome Biblical Institute Press, 1963, p210

[vi] Ibid.

[vii] Ibid. Note n°210

[viii] Lv 23, 10.14

[ix] Lv 23, 11

[x] note de la Bible Osty