Léon Bloy détestait St François de Sales. Il détestait aussi Ste Thérèse de Lisieux, ce qui n’est pas étonnant car elle est très proche de la spiritualité salésienne; nous y reviendrons dans de prochains posts. Il le trouvait trop mièvre, trop prudent, trop ecclésiastique, en somme trop précieux. Et c’est effectivement ce qui caractérise le style littéraire de St François et qui peut représenter pour certains lecteurs contemporains une réelle difficulté et un empêchement pour la bonne compréhension de sa spiritualité :
«Miraculeusement édulcoré, l’ascétisme ancien s’assimila tous les sucres et tous les onguents pour se faire pardonner de ne pas être précisément la volupté, et devint, dans une religion de tolérance, cette chose plausible qu’on pourrait nommer le catinisme de la piété. Saint François de Sales apparut, en ces temps-là, juste au bon moment, pour tout enduire. De la tête aux pieds, l’Eglise fut collée de son miel, aromatisée de ses séraphiques pommades. La Société de Jésus, épuisée de ses trois ou quatre premiers grands hommes et ne donnant déjà plus qu’une vomitive resucée de ses apostoliques débuts, accueillit avec joie cette parfumerie théologique, où la gloire de Dieu, définitivement s’achalanda. Les bouquets spirituels de prince de Genève furent offerts par de caressantes mains sacerdotales aux explorateurs du Tendre, qui dilatèrent aussitôt leur géographie pour y faire entrer un aussi charmant catholicisme… Et l’héroïque Moyen Age fut enterré à dix mille pieds!….» Léon Bloy, Le Désespéré
Mais la vraie douceur, la douceur spirituelle ne vaut-elle pas mieux que les fulminations d’un prophète quand il s’agit de convertir? C’est la fameuse métaphore, reprise et souvent filée par SFS : on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. Il est vrai que certains caractères doivent d’abord être frappés par un discours « musclé ». Or, la première période de la vie de SFS est marquée par des prédications très fortes et très vigoureuses :
– je pense ici à son discours de réception comme prévôt de la cathédrale ayant pour sujet la reconquête spirituelle et politique de Genève. La ville était aux mains des réformés depuis déjà plusieurs décennies. Nous aurons l’occasion d’écrire un ou plusieurs posts au sujet de ce sermon très important pour le début de la carrière ecclésiastique de SFS.
– je pense aussi aux Controverses, oeuvre qui regroupe ses billets théologiques contre les Réformés lors de sa reconquête de Chablais
Si l’on se penche, même rapidement, sur la vie de St François de Sales, on ne peut être que frappé par la force qui s’en dégage et par l’extraordinaire activité qu’il développa dans toutes ses entreprises, loin de la soi-disant mièvrerie de son style littéraire. Il faut tenir l’un et l’autre, si l’on veut bien comprendre le personnage : l’écrivain qui répond aux canons littéraires de son temps et l’ouvrier de l’Evangile qui fit toujours preuve d’un courage admirable tout au long de sa vie :
– sa formation d’abord : à Padoue puis à Paris où il vécut une crise spirituelle d’une intensité qui faillit lui coûter la vie
– son retour dans sa patrie savoyarde où il est immédiatement chargée de la dangereuse mission en Chablais protestant où sa vie est potentiellement en danger
– sa rencontre avec Ste Jeanne de Chantal et la fondation de l’Ordre de la Visitation
– son activité politique et diplomatique
– son activité de prédicateur
– son oeuvre d’écrivain : les oeuvres complètes de la Visitation comptent 27 volumes! (livres, homélies, lettres, discours…)
C’est ce que lui-même a appelé dans le Traité de l’Amour de Dieu : l’extase de l’oeuvre. Cette extase, qui n’a rien de merveilleux extérieurement, est le sommet de la vie mystique :
« Ne point dérober, ne point mentir, ne point commettre de luxure, prier Dieu, ne point jurer en vain, aimer et honorer son père, ne point tuer, c’est vivre selon la raison naturelle de l’homme.
Mais quitter tous nos biens, aimer la pauvreté, l’appeler et tenir en qualité de très délicieuse maîtresse ; tenir les opprobres, mépris, abjections, persécutions, martyres, pour des félicités et béatitudes; se contenir dans les termes d’une absolue chasteté, et enfin vivre parmi le monde et en cette vie mortelle contre toutes les opinions et maximes du monde, et contre le courant du fleuve de cette vie par des ordinaires résignations, renoncements et abnégations de nous-mêmes, ce n’est pas vivre humainement, mais surhumainement;
ce n’est pas vivre en nous, mais hors de nous et au-dessus de nous. Et parce que nul ne peut sortir en cette façon au-dessus de soi-même, si le Père éternel ne le tire (1), partant cette sorte de vie doit être un ravissement continuel et une extase perpétuelle d’action et d’opération. » Traité de l’Amour de Dieu, Livre VII, ch. VI
Trouvez-vous vraiment qu’il s’agit d’un programme de vie éloigné de l’ascétisme ancien, édulcoré, sucré et mielleux?